Pauvres de nous


J’en ai marre d’être riche. Marre de ne jamais me reconnaître dans les reportages sur Haïti, marre d’allumer mes cigares avec des billets de 500 francs et, mais ça c’est un autre problème, marre de ne pas comprendre que l’on est passé à l’euro. Ras-le-bol ! J’ai donc décidé de passer une soirée misérable afin de voir ce que c’est que d’être une pauvre parmi les pauvres.

18h30 : J’ai quelques emplettes à faire. Je me dirige lentement, pour ne pas dire à reculons, vers Carrefour. Le temps c’est de l’argent, or je ne suis pas là pour en gagner. J’apprends en entrant que le positif est de retour. C’est une bonne chose, pauvre et neurasthénique je n’aurais pas pu.

18h31 : Je me souviens avoir lu quelque part que les pauvres ont plus de chance d’être touchés par l’obésité que les fortunés. N’ayant toujours pas dépassé la barre fatidique des 50 kilos je décide de prendre le taureau par les cornes. J’avance calme et déterminée vers les lardons discount, ceux qui ont trois fois plus de gras que de maigre et qui me font dire que dans le cochon tout est bon, à condition de ne pas être regardant. Je prends trois paquets. Je souhaite réellement m’intégrer dans ma nouvelle classe sociale. Je me sens déjà toute ragaillardie. C’est donc bien vrai, le gras c’est la vie.

18h33 : Des packs de lait Lactel me font de l’œil. Mais, je ne suis pas une fille facile et encore moins nantie dorénavant. La digestion facile est un luxe que je me dois d’oublier.

18h45 : Je passe en caisse. Je fais grise mine, je pense que c’est ce que les défavorisés auraient voulu. Mon paiement fini, je m’efforce tant bien que mal de porter à bout de bras mes provisions. Bien-sûr un sac réutilisable Carrefour aurait été d’une utilité sans pareille mais on ne dit jamais non à une petite économie.

20h50 : De retour chez moi, après un saut à l’hôpital pour une hernie discale, mon premier réflexe est de ne pas allumer le chauffage. Il ne s’agirait pas de s’habituer aux bonnes choses.

20h52 : Je range mes courses. Je vois des 1 rouges partout. Je me sens l’âme d’une championne. L’effet premier prix a du bon.

20h54 : Je me sers un verre d’eau, du robinet, ce qui me fait penser que la Cristaline, contrairement à l’argent, ça coule de source.

21h30 : Je finis mon verre d’eau. Pour ma défense, il était rempli à ras bord et j’ai de grandes difficultés à boire sans m’étouffer.

21h 36 : Je me décide enfin à allumer la lumière. Une folie qui me coûtera un col-roulé Emmaüs. Consciente du manque à gagner, j’enlève une ampoule. Tout n’est pas perdu.

21h40 : Faute de buffet Pourparlers et autres PCFAT nocturnes, je décide de me faire à manger. Bien-sûr je pourrais aller à la soupe populaire mais entre l’indigence et l’aumône, il y a un fossé que je ne me résous pas encore à franchir.  C’est ça quand on a des petites jambes… J’ai ouï dire que la pizza est le plat du pauvre mais n’ayant pas de pizza, et encore moins de pizzaïolos sous la main, j’opte pour des pommes de terre et un peu de pain. Les féculents ça a toujours nourri son homme pour pas cher et puis comme dirait l’autre, à la guerre comme à la guerre.

22h 01 : Je n’ai pas la peau du ventre bien tendue.

22h15 : Je me prépare à aller dormir et songe avec délice que ma soirée de sans-le-sou s’achève ici. En revanche, ma vie de radine ne fait que commencer.

Par Laure Bernadou

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